mercredi 28 mars 2012

C'est l'heure du dé-dé-dé-dé-déchet!

Dans le monde merveilleux du manga, on trouve des bijoux de culture, d'art et de littérature. Des séries cultes ont fait le tour du monde (Dragon Ball, Saint Seya), tandis que d'autres ne sont principalement connues que dans le Pacifique (la faute aux éditions qui ne traduisent pas forcément le meilleur, et parfois bien des décennies après). On trouve aussi des centaines séries ratées faisant souvent quelques chapitres, au dessin bâclé et au scénario inexistant, ou tout simplement pas assez attrayant pour le public des magasines de manga. Néanmoins, cet article va aborder un manga qui ne rentre pas dans les catégories précédentes, tant il est considéré comme culte et magnifique par toute une tripotée de lecteurs qui ne comprennent pas qu'ils ont affaire à un Mc Donald/Star AC (choisissez ce que vous trouvez de plus dégradant) littéraire. Et oui, je vais parler du seul, du magnifiquement commercial, 'Yu-Gi-Oh' (de Kazuki Takahashi).

Ca avait pourtant l'air moins dangereux que
le Nécronomicon.


Tout d'abord, 'Yu-Gi-Oh' (littéralement 'Roi des jeux') est l'histoire du jeune Yugi Mutô (un lycéen petit de taille, de courage et d'intérêt) et du Puzzle Millénaire. En finissant de monter ce puzzle, il va acquérir (sans le savoir) une sorte de double qui va se réveiller (ou sortir du puzzle, c'est pas bien expliqué au début) quand il est en colère (et tombe au passage inconscient). Ce double va faire respecter la morale aux viles félons et autres fripouilles en jouant avec eux à divers jeux (ou même de simple paris), et en les punissant grâce à des pouvoirs mystérieux quand ceux-ci perdent (les rendre aveugles, faire que leur cœur bat au rythme de la musique, avoir son âme déchirée en morceau...). Bref, le double est un être sombre, mystérieux, un brin carrément sadique et plutôt cool.

Profites-en : dans moins de 5 volumes,
tu ne seras que paix et amour.



Voilà, jusque là, le manga sonnait plutôt bien. Et bien sûr, c'est à partir de là que tout se met à foirer.

Dû à une attraction d'un public purement shônen (donc, surtout des jeunes garçons), l'auteur (de par lui-même ou par pression de ses éditeurs. On en sait jamais dans l'univers du manga) donne de plus en plus une touche 'on est tous copains, vive les bons sentiments, on se bat (enfin on joue) pour l'amour de la liberté des fleurs de la vie', notamment en entourant Yugi de comparses solidaires, tout beaux tout blancs, et en arrêtant de faire du double un sadique. Au contraire, il finit vite par ne plus vraiment punir les gens, et ne fait plus rien de dangereux. En fait, son existence va même être révélé à Yugi et à ses amis, et ils seront tous de bons copains (et ils iront respirer les pâquerettes ensemble, surtout les deux Yugi qui partagent le même corps).

Bon, on va survoler la liste des protagonistes honteusement minables pour la plupart (et souvent obsolètes après quelques volumes. Ils resteront parce qu'ils font parti de l'histoire, mais sans jamais rien faire), et parler vite fait du scénario.

Donc, tout d'abord, on a droit à 'l'autre Yugi' (comme on l'appelle dans le milieu des gamins élevés à coup de mauvaise parodie de Magic the Gathering) qui joue à divers jeux. Puis, on va révéler l'existence de plusieurs objets millénaires, tous issus de l'Egypte antique (comme le puzzle) et qui garderaient un grand secret. Puis, grâce au jeu de cartes Magic & Wizards (dont les règles obscures ne cessent de changer au fil des différents tournois de parties de cartes), le double du protagoniste inutile va se battre pour découvrir le secret des objets millénaires (et prouver qu'il est le meilleur). Parce que oui, les porteurs des objets millénaires sont (presque) tous joueurs du même jeu de carte.

Finalement, après plusieurs tournois (et parce que l'auteur s'est dit qu'il fallait quand même avancer le scénario un jour), on va retrouver notre bande de héros dans un combat titanesque et final contre un soudainement apparu super méchant (qui n'était donc pas vraiment influant durant tout le reste de la saga, quoiqu'en diront les fans), le tout à travers un plateau de jeu permettant le voyage temporel dans une autre dimension (oui, les deux à la fois). Bref, le méchant se fait finalement pouttrer (parce que nous avons tous réunis nos âmes ensemble, et qu'on est amis, et donc on gagne!), et voilà qu'arrive la fin du looooong voyage (qui s'est surtout résumé à 'On joue à des jeux'). Là, avant de rejoindre son monde (= le pays des morts, quoi), l'autre Yugi va affronter Yugi originel dans une partie de carte. Parce que oui, le héros de l'histoire, qui n'a servi à rien durant plus de 30 volumes, a soudainement non seulement un deck de cartes tout prêt sur lui (qu'il est prévoyant!), mais a en plus la capacité de dominer complètement son alter ego (qui a juste été le plus fort et le meilleur durant des dizaines de volumes). Bon, du coup, je me dis que si on l'avait laissé joué toutes les parties de cartes depuis le début, il aurait gagné tout seul et puis c'est tout.

Enfin bon, je râle, je râle, mais au moins, c'est fini. Yugi bat son 'double', puis ressort du tombeau (lieu du duel final) avec ses amis. Ils regardent tous vers le ciel, chacun se disant qu'ils seront toujours unis, et que rien ne saurait être un obstacle pour eux. Et, et... Et fin. Oui, il n'y a aucun épilogue. Excepté Saint Seya, je n'ai jamais vu un tel foutage de gueule sur un manga qui a été publié des années et qui n'apporte pas le moindre soupçon de sentiment de fin, d'épilogue, de narration final, ... Non seulement on ne saura jamais ce que compte faire les personnages derrière (alors que le questionnement sur le futur de chacun, quoique peu développé, avait été posé durant l'intrigue), mais même la seule pseudo touche de début de romance qu'il y avait n'ait pas exploité pour un sou (et je ne parle pas de celle de Yugi et de sa quiche d'amie d'enfance qui a moins de personnalité que Lolo le Lombric).

Donc bref, Yu-Gi-Oh, c'est de la merde. Un manga honteusement bâclé durant les trente derniers volumes. Et pourtant, ce n'est que le sommet de l'iceberg de la déception de cette franchise. Car oui, Yu-Gi-Oh est avant tout une franchise, et que le monde de tout ce qui est commercial au Japon a décidé d'exploiter jusqu'à avoir extrait toute la sève de pognon qu'il pourra en tirer.

Tout d'abord, parlons du fameux jeu de carte (qui n'était qu'une parodie de Magic the Gathering faite par l'auteur... Du moins au début). Devant une idée de faire un sérieux concurrent à Pokémon Trading Card Game (Magic version Pokémon), on a forcé l'auteur à faire la pub dans son manga de ce fameux jeu de carte Yu-Gi-Oh (ce qui expliquera sans doute les inepties scénaristiques de plus de 20 volumes). Et tout ça pour vendre un jeu de carte aux enfants, dont non seulement 95% des cartes sont parfaitement inutiles face aux 5% restants, mais dont le gameplay manque d'une sérieuse profondeur (au bout d'un moment, il n'y a pas 36 stratégies de decks pour gagner).

Parmi ce tas de cartes, seules trois ne sont pas totalement obsolètes.
Sachant qu'elles ont toutes coûté cher, sauras-tu trouver lesquelles?



Bien sûr, on pourrait se dire que les enfants ne sont pas si cons, qu'ils ne vont pas vider leurs tirelires et les portefeuilles de leurs parents dans des cartes sous-puissantes pour mieux se faire humilier à la récré. C'était bien évidemment sans compter le génie (maléfique) des créateurs de la version animée de Yu-Gi-Oh. Outre le fait que cette anime est une parodie grotesque du manga (qui lui même ne vole pas très haut après les premiers volumes), on n'arrête pas d'y voir des duels de cartes (d'où la fameuse expression : "C'est l'heure du Du-du-du-du-duel!") où le simple fait de croire en l'âme de ton deck va te permettre de renverser des situations impossibles grâce à la pioche de LA bonne carte qu'il te restait dans ton deck (bien que ceci soit déjà trop présent dans le manga, la version animée pousse le concept encore plus loin).

De plus, on va gaver le bambin à l'idée qu'il sera mieux reconnu socialement si il est doué avec le jeu de carte (chose normalement blasphématoire dans la religion élitiste du système éducatif nippon), ce qui permettra à tout les enfants de trouver un moyen ludique d'être un 'vrai'. Plus besoin d'être le meilleur en maths, de faire voler le ballon à travers des terrains de 10 kilomètres de long (cf. Olive et Tom),de castagner le petit gros qui t'a chipé le goûter devant tout le monde, ou encore d'être un artiste (ou autiste, au vu de la rigueur imposé par les parents japonais pour apprendre la musique). Bien sûr, gagner réellement au jeu de cartes ne fera pas d'un petit écolier une sorte de caïd du quartier, mais on s'en fout. Il a déjà dépensé les économies de ses parents pour ses futures études dans des boosters afin de tanner Yoshikawa, un garçon de la classe d'à côté qui possède le mythique 'Burster, the Dragon Epic Destructor of the Death', une carte plus forte que son meilleur thon.

Non Yoshikawa, ce n'est PAS classe!


Bon, on me dira, il existe aussi des portages sur consoles pour jouer à Yu-Gi-Oh, faisant qu'il n'y a pas besoin d'acheter des centaines de cartes. Oui, mais... De un, ces jeux sont renouvelés chaque année (histoire de bien faire racheter encore et encore au même gamin qui veut jouer avec ses nouveaux amis qui n'ont acquis que la version la plus récente). De deux, et c'est ça toute l’infamie de ce système, jouer via console est contre-productif, comparé à jouer avec des vraies cartes... Ou tout au moins, c'est ce qu'on fait croire aux gamins. Car oui, les tournois/championnats pour lesquels on s'entraîne demandent de vraies cartes. De plus, Yugi et ses amis seront très tristes si tu n'as pas de vraies cartes pour croire en leurs âmes (et quel mioche assez con pour croire qu'il deviendra comme son héros favori de la télé va remettre en doute sa religion sur les âmes dans les cartes?). Du coup, si tu veux vraiment devenir fort, tu dois jouer avec des vraies cartes pour qu'elles deviennent réellement copains avec toi. Tu as bien compris mon petit? Maintenant, va t'acheter un booster!

Et là, j'entends déjà les genre me dire 'Oui, mais c'est terminé, tout ça. Pourquoi tu en parles maintenant?'. Bon, déjà, y a un truc qui s'appelle le devoir de mémoire (pour ne pas oublier les faits graves et importants de l'Histoire, comme la Seconde Guerre Mondiale, le massacre au Rwanda ou encore Twilight). Ensuite, vous croyez réellement que c'est fini? Quoi, vous ne saviez pas? Le manga est fini depuis quelques années, tout comme l'anime... Et pourtant, la franchise continue!

Bien que l'auteur ne soit pour rien de ce qui va suivre, les éditeurs ont eu la bonne idée de trouver des mangakas prêts à utiliser son style graphique pour créer de nouvelles séries (Yu-Gi-Oh R, Yu-Gi-Oh GX, Yu-Gi-Oh RZ637DE58 et autres noms dans le genre). Avec un scénario totalement inexistant, le but est simplement de montrer de nouveaux héros qui jouent aux cartes... Soit sur une île remplie de gamins qui ne font que ça (ouais, une sorte d'école pour les 'duellistes' d'élites, car c'est encore mieux que de faire le MIT), soit en jouant tout en roulant à moto (à ce jour, je cherche toujours l'intérêt de piloter une moto tout en faisant un duel de carte... Tout comme bon nombre d'accidentés de la route). Bref, autant de séries qui cherchent à faire perdurer autant que possible l'âge d'or de la pompe à fric Yu-Gi-Oh.

Bandit Keith. Le seul personnage de toute l'histoire
qui a compris la vraie valeur des cartes.


Et voilà, c'était la petite histoire de Yu-Gi-Oh, un manga qui a atteint son statut de 'culte de la bande dessinée nippone' grâce aux milliards qu'il a fait engranger à divers entreprises japonaises, en tuant simplement au passage tout sens artistique, scénaristique et intérêt que pouvait contenir à la base l’œuvre de Kazuki Takahashi.